Livre 32

Elle déteste le homard.
Pas que ce soit mauvais.
Non.
Plutôt il lui est déconseillé d’en manger.
La digestion.
Puis, c’est rouge.
Comme la passion.
Et ça, la passion elle n’en peut-plus.
Le homard, c’est un peu ça.
Un syndrome passionnel surgit du fond, d’un fond.
Une force qui l’aiderait à téléporter sa vie entière.
Impossible à maîtriser.
Sauf pour boire et fumer jusqu’à l’aube, ne pas dormir, sentir la fatigue, jusqu’à la perte d’équilibre.
La faim passée mais toujours l’envie de faire l’amour.
C’est ça, la passion.

Elle déteste le homard pour cette raison.
Pourtant, elle aimerait l’embrasser, le bouffer, le lécher.
Sucer son jus dans les recoins de ses entrailles.
Puis le digérer, le chier et l’oublier.
Elle n’arrive pas à l’approcher.
Inaccessible passion.
Que je te connais tant, que tu me tiens tout autant.
Elle veut être une mante religieuse.
Pas trop religieuse.
Quand cesseras-tu de me coincer dans tes pinces reptiliennes ?
Maudit soit le homard.
Des heures, des jours à l’attendre.
Un coup de fil trop tard. Puis, plus rien.
Elle tente de l’apprivoiser.
Aucun signe en retour.
Lequel des deux est enfermé dans l’aquarium aux plantes fluorescentes ?
Elle croit bien qu’elle y est, noyée au fond.
Oui, c’est un homard.
Crasseux, que l’on vide et jette aux ordures.
Un déchet, rien de plus.
Orphelin avorton.
À peine né, déjà bouffé.
Tu ne m’as rien fait, pourtant je vais t’en faire baver mon ami.
Maudit soit l’attente, si longue.
Une semaine de rêve et 3 heures de réalité.
Une arnaque.
Un tournant inévitable à passer.
Ce soir, elle projette de voir une amie.
Elle ne peut s’empêcher de programmer la sortie sur Saint-Gilles.
Elle aura une chance de le croiser.
Elle en a la chair de poule.
Elle a peur de le voir.
Si seulement.
Et s’il ne la reconnaît pas ? C’est qu’il fait semblant.
Qui est-elle à ses yeux ?
Incompréhension. L’absence. La sienne.
Faut boire. Oublier, ou ranimer l’envie.
D’une histoire à vivre.
Elle n’en veut même pas. Elle aime trop sa liberté.
Elle le prendra comme amant.
Elle boit.
Après le premier verre, elle se sent rougir.
Le second aide à faire passer le trac de la petite fille.
Après la bouteille de vin grec, celui qui vous enfonce dans le sol et deux bières désaltérantes, qui requinquent.
Le homard n’est toujours pas dans l’assiette, à l’attendre.
C’est encore elle qui s’y trouve, des couverts prêts à la transpercer. Les yeux la dévisagent, elle respire l’haleine pesante, elle veut disparaître.
Encore une bière qui met fin à cauchemar.